Le blog de Topirate

     L'appétit rassemble, et les deux "longues dents" avaient besoin de retrouver un peu de sérénité. Ils se regardèrent silencieusement et prirent le parti de suivre, pour l'instant...

     Le corridor était bien long pour Tylia, qui n'arrivait pas à garder le calme de sa soeur. Sur le qui-vive constamment, son seul véritable souci était de garder une distance respectable avec ces invités d'un autre type. Elle avait sans doute raison car la férocité était bien en eux. Latent, ce sentiment profond devenait toujours plus fort la nuit tombée et provoquait même des irruptions incontrôlées au moindre manque physiologique.

     C'est surtout Alastor qui se mordait les lèvres, ne pouvant s'empêcher de fixer avec insistance le coup de Tylia. Une proie si tentante, certainement un sang à déguster comme un nectar. Mais maintenant, à sa grande surprise, il réussissait à se contrôler et marchait d'un pas assuré, comme revigoré. Ce qui ne l'empêchait pas d'avoir faim, bien sûr, mais d'une manière mesurée, sans envie meurtrière. Quelque chose le gênait cependant, ses yeux se baissèrent vers les deux fléchettes toujours plantées sur son torse, n'osant pour l'instant les retirer par prudence.

     Des questions, ce vampire chamboulé, toujours tourmenté, en avait et pas qu'une. Il risqua une approche vers Milly, à la tête de ce petit convoi hétéroclite. Dépassant Tylia, d'une vaste foulée, il attrapa le bras frêle de la jeune femme au pas pressé et osa quelques mots.

      - " Pas si vite, j'ai besoin d'explications, de comprendre... " lâcha d'un trait, mais sans fin, le jeune buveur de sang en quête de mots pour breuvage.
     - "Et moi, j'ai envie de manger. Enlève ces ridicules seringues, tu ressembles à un épouvantail ! " déballa l'impatiente, qui regardait sa main sur son bras.

     - " Moi aussi je veux comprendre ! " marmona d'une voix inintelligible le Loup-Garou, jusque là transparent. L'os de poulet en travers de la bouche, il avait posé  sa main  gauche sur l'autre bras de Milly.
     - " Moi, j'ai tout compris en tout cas, ça énerve ! " débita l'enfant dégourdie, promue Chef de file, malgré ses petits pas. Elle avançait  la tête haute en direction de la cuisine.

     L'énervement bien sûr et la faim surtout, poussent parfois à des extrémités, des réactions spontanées. Se sentir prisonnière n'était pas pour l'ainée des soeurs, l'empêcher d'avancer, d'atteindre son but, la mettait hors d'elle. Elle aurait tué pour manger à l'instant, mais se contenta par bonté, de maîtriser ses actes. Simplement, mais sûrement, elle agrippa les deux mains étrangères pour les lier entre elles, amicalement, et balança le tout, et tout le reste, assez fort vers l'avant. Ils étaient promus têtes de série, mais pas de quoi les féliciter.

      Auparavant, l'intransigeante adolescente avait lancé à l'adresse de sa soeur, un énergique :  " Fais-toi toute petite Tylia, les deux fardeaux ont faim eux aussi, ils prennent les devants ! "

     Une clé tourna dans la serrure. Bruit habituel d'une fin de journée, bien remplie. Milly était de retour au bercail. Un moment de calme qu'elle appréciait tout particulièrement. Se détendre, se vider l'esprit était vital à cette heure de la journée, la nuit tombée. Mais elle avait toujours une appréhension, comme si une fatalité régnait sur cette maison qui abritait toute sa famille. Cette idée, elle la chassa, il n'y avait pas de raison, d'ailleurs aucun bruit ne venait la contredire. Milly s'avança et vacqua à ses occupations, n'osant même pas appeler ses soeurs, pour une fois, de crainte de les déranger. La cuisine l'appelait, elle était affamée.

     Le désordre régnait, l'ainée éreintée ne trouvait plus rien à sa place. Elle, qui était si soigneuse, souffrait en silence. Milly s'activa pourtant, se prépara un petit en-cas qu'elle s'apprêtait à déguster maintenant. Le calme régnait, elle était imperturbable face à son festin...

      Ses yeux se fermaient, mais un jeu de lumière empêchait son repos complet. Une lueur tenace qu'elle voyait les yeux fermés, une étincelle intérieure qu'elle savait reconnaître entre mille. Le sommeil était passé, la jeune femme se mit en marche.

     - " Lycia ! Tylia ! Où êtes-vous ? "  lança-t-elle, en accélérant le pas. La première pièce, la chambre de Tylia, n'apporta pas de réponse visuelle ; ni la seconde, celle de sa soeur, vide aussi.
    - " Si c'est une blague, ce n'est plus drôle, je vais me fâcher ! " renchérit l'enquêtrice inquiète. Elle se sentait responsable de tout ce qui pouvait arriver, et là sa tension montait d'un cran devant l'absence de réponse.

     Elle attaquait maintenant la dernière chambre, celle promise aux invités de passage, guère utilisée ces temps-ci. Sa main actiona la poignée d'un geste brusque qui trahissait l'anxiété. Son regard resta figé devant le spectacle.

     - "Tylia, non ! Tu m'avais promis ! articula Milly, lentement, un soupir de soulagement dans la voix.
     - " Mais, ils voulaient me manger, je t'assure Milly ! s'exclama l'enfant.

     Tylia était petite, mais non dénuée d'une certaine force...intellectuelle. Elle avait appris ses leçons et les appliquaient à la lettre quand le besoin s'en faisait sentir. L'image était inédite, le tableau improbable d'une fillette maintenant en respect deux monstres au dessus de sa tête, dans les airs. Ceux-ci virevoltaient, plus légers que des plumes.

     - " Tiens, un autre repas à venir ! " lorgna Danny qui sortait de sa torpeur et qui regardait en direction de Milly.
     - " Oui, et certainement plus savoureux encore; " alimenta le Vampire assoiffé, qui n'aspirait qu'à une chose.

     - " ah, tu vois ? Je ne mens pas ! " renvoya Tylia.
     - " Bon, ça suffit ! J'en ai marre de tout faire ici ! " explosa la soeur ainée; Sur ce fait, elle jeta une cuisse de poulet dans la gueule béante du Loup-Garou, qui n'en demandait pas tant. Ce poulet, c'était son repas, elle l'avait conservé dans l'une de ses mains sans vraiment s'en rendre compte, dans l'urgence. L'autre, tenait un couteau.

     Son regard se posa sur le dessus de la commode située à l'entrée de la chambre, où se trouvait une arme, l'arme requise. Deux coups de feu claquèrent en direction du Vampire, le fameux Alastor...


  

     Un calme d'après tempête rayonnait dans la pièce, une éclaircie de circonstance aux allures sereines. Une âme, apaisée, esquissa un sourire, regardant de bien haut le tableau ainsi dressé. Mais aussi affaiblie, elle commençait à pâlir, sur le point de rejoindre son enveloppe charnelle, sa mission accomplie.

     Restée debout, malgré tout, Lycia commençait à accuser le coup, et s'affaissa d'un bloc. Tylia ne semblait pas s'affoler, elle savait que ce n'était qu'une question de temps. D'ailleurs, elle s'affairait, une trousse et un oreiller à la main, sa soeur était tout pour elle.

     Allongés, les autres participants avaient eu leurs "récompenses surprises". Ils gisaient maintenant à même le sol, très proches, presques amis. On aurait dit des anges...

     Tylia s'amusait à les regarder tendrement, et profitait pleinement de ce moment de liberté, sans adultes autour d'elle. Les bêtises, elle connaissait et ne s'en priva pas. Les ciseaux déjà officiaient entre ses mains habiles qui aimaient découper, créer. Les cheveux étaient une matière de choix. Ses yeux s'illuminaient de joie...

     Peu à peu les esprits s'éveillaient, reprenaient vie. Rude retour à la réalité, toujours ombrée, pour des êtres qui étaient si différents du commun des mortels. Leurs yeux perçants avaient déjà repéré les dangers potentiels, analysés les solutions et les concessions possibles. Et ils n'avaient jamais été si proches, en période de paix. Une nouveau round d'observation commença. Mais un petit bras s'éleva entre ces deux combattants qui reprenaient du poil de la bête...

     Libre de mes mouvements, j'avais conscience que rien n'était joué. Cependant, mon état de santé était meilleur, je me sentais bien, comme régénéré et cela je ne le comprenais pas. Tout près du gouffre, j'ai failli m'éteindre, exténué, faute de m'alimenter régulièrement du sang des autres. Les jours ou plutôt les nuits ne sont pas faciles pour un vampire amateur qui se cherche, souvent hésitant.

     C'était la première fois que j'avais en face de moi un adversaire qui me tenais tête, sans peur, ou la seconde devrais-je dire. Comment avais-je pu oublier la vision de cette nuit, enfin je pense que c'était cette nuit-ci, je ne suis sûr de rien. L'image de cette statue mouvante me revient en mémoire, pleine de grâce et de sérénité elle s'était jouée de moi avec une facilité déconcertante. Puis, cette douleur ressentie dans ma poitrine qui m'avait laissé au sol à la merci du jour qui se levait. La suite m'est inconnue, mais je suis toujours là alors...

     Alors, je chercherai plus tard une réponse. Mais pour l'instant, j'avais mieux à faire, m'occuper de ce "chien fou" qui me provoquait, cette bête qui maintenant montrait son vrai visage, devenu très velu. Ses griffes, ses crocs, il les affichait, menaçant. Des flots de bave rendaient repoussante cette vision horrifique. C'était un Loup-Garou, j'aurais dû le deviner depuis longtemps.

     - " Je sens que ça va pas coller entre nous ! " résumais-je lentement.
     - " Tu m'étonnes, entre un Vampire et un Loup-Garou, faut pas rêver ! " répliqua du tac au tac le transformiste animalier.

     Le sang me montait à la tête, le besoin de sang surtout, j'en avais un besoin urgent. Tel un aigle, je m'envolais dans les airs, serres en avant, tous crocs dehors. Très vite, je m'agrippais à lui, cherchais sa gorge pour le mettre à terre. Mais, c'est face à un roc que je tombais, mes attaques glissaient sur lui, il déjouait mes moindres gestes. Ses coups avaient plus de poids, de force. Il en usa brutalement pour me repousser en l'air, dans un vol plané fracassant...

    
     J'étais paisible, l'esprit ailleurs. Bien loin des préoccupations de ce monde que je ne comprenais plus. Sans besoin particulier, mon corps ne réagissait pas, oubliait mes turbulences passées si chaotiques et incontrôlées. La chaleur m'indispose, je n'y peux rien, c'est ma principale ennemie. Elle me marque dans ma chair, m'étouffe, m'effraie, m'approche du néant.

     Cette sensation commençait à me prendre pourtant, par picotements. Ce danger se révéla bien malgré moi, comme un incendie qui se déclare, une étincelle qui pourrait être de "vie" dans d'autres circonstances. Mes yeux, en alerte, s'ouvrirent, guidés par une force intérieure. Le constat fut immédiat, je commençais à fumer, à me consumer. Un filet de lumière ,avec effet laser, portait ses attaques par vagues successives sur ma peau si blanche...
    
     Je n'avais pas de volonté, las de ces tracas à répétition qui dirigent ma vie, de mes agissements imposés aux manières animales. A quoi bon? A quoi me rattacher pour garder un soupçon d'espoir? De toute façon, j'étais pieds et poings liés, pris au piège de mon ennemi qui commençait à me dévorer lentement...

     Personne n'avait eu la primeur d'être vu par mon regard vide, mais je savais que je n' étais pas seul dans cet endroit clos. Mon ouïe ne m'avait jamais trompé. Et cela allait se vérifier...

     - " Tylia, fermes ce rideau ! " lâcha une voix autoritaire.

     L'enfant, qui était au spectacle bouche bée, sursauta. Mais obéissante, tête baissée, elle s'exécuta, replongeant ainsi la pièce dans une pénombre très appréciée du personnage le plus étrange d'entre-tous.

     - " ah ah ah ah, trop drôle, il brûle " s'égosilla un huluberlu dans l'encadrement de la porte.

     Mon regard n'était plus vide et mon royaume, la nuit, aiguisa ma vision. De mauvaises idées traversaient mon esprit envers ce clown qui portait un tee-shirt "style cartoon". Le visage ébouriffé, il me montrait du doigt, la mine réjouie, l'air niais. J'avais mal, mon bras me brûlait, mais je me voyais bien lui enfoncer mes dents dans le cou. Pas le temps de réfléchir plus, ma pensée fut stoppée net par une averse d'eau qui vint m'inonder tout le corps. Le clown allait répliquer d'un rire, il reçu le reste en pleine face, en "acqua trombes"...